L'arrestation et l'exécution de Patrice Lumumba : Un enchevêtrement d'intérêts et de rivalités

De Wikipatsh
Eminent chercheur en histoire, Thomas Luhaka, aux côtés de Isidore Ndaywel un autre grand historien, racontant l'histoire de la RD Congo dans une conférence.

L'arrestation de Patrice Emery Lumumba dans la nuit du 1er au 2 décembre 1960 à Lodi, sur les rives du Sankuru, est le fruit de plusieurs facteurs convergents. Après seulement deux mois à la tête du gouvernement congolais, Lumumba suscite de nombreuses hostilités dues à son nationalisme radical et à son tempérament fougueux. Ces tensions rassemblent divers groupes, tant locaux qu'internationaux, qui œuvreront à sa chute.

Les autorités belges, en conflit ouvert avec le Premier ministre congolais, ne lui pardonnent jamais son discours du 30 juin 1960, où il dénonça le colonialisme devant le roi Baudouin. Ce discours, bien que suivi d'un acte d'amende honorable, est vu comme un crime de lèse-majesté. De plus, les relations entre les deux nations s'effondrent après que Lumumba accuse la Belgique d'agression pour avoir déployé des troupes sans autorisation sur le territoire congolais. Ces tensions culminent lorsque Van Bilsen, au nom du Premier ministre belge Eyskens, demande au président Kasa-Vubu de révoquer Lumumba.

Les États-Unis, de leur côté, s'inquiètent de ce qu'ils perçoivent comme un risque de basculement du Congo dans le bloc soviétique, même si Lumumba, malgré ses menaces de faire appel à l'URSS, n'a jamais été communiste, comme le confirmera un rapport de la CIA du 25 janvier 1961, huit jours après son assassinat.

Les Nations-Unies ne sont pas en reste. Lumumba entre en conflit avec le Secrétaire général Dag Hammarskjöld au sujet de l'interprétation du mandat de l'ONUC (Opération des Nations-Unies au Congo). Là où Lumumba espère une aide militaire pour réprimer les sécessions du Katanga et du Kasaï, Hammarskjöld préconise une approche diplomatique. Un incident au Katanga, où Hammarskjöld est perçu comme ayant salué le drapeau sécessionniste, envenime encore plus leurs relations.

L'Église catholique congolais s'oppose également à Lumumba, en raison de sa volonté de nationaliser l'université Lovanium, propriété privée de l'Église, projet qui sera mené à bien en 1971 sous Mobutu.

Les tensions locales sont exacerbées par les politiciens congolais. Kasa-Vubu, Mobutu, Tshombe, et d'autres figures politiques se dressent contre Lumumba, bien que ce dernier bénéficie du soutien de la majorité parlementaire.

Après l’arrestation de Lumumba, une question cruciale se pose : que faire de lui ? Kasa-Vubu propose une réconciliation nationale en réunissant toutes les factions congolaises. Mais cette idée est fermement rejetée par les conseillers militaires belges, qui préfèrent une élimination physique.

Les événements s'accélèrent en décembre 1960, lorsque les lumumbistes, menés par Antoine Gizenga et le général Victor Lundula, lancent une offensive militaire à Bukavu, puis au nord du Katanga. Les victoires militaires des partisans de Lumumba poussent les autorités de Kinshasa à réagir dans la précipitation.

Une nouvelle mutinerie au sein de l'armée de Mobutu, exacerbée par les frustrations des soldats non payés, fait craindre une libération de Lumumba, gardé au camp Hardy à Mbanza-Ngungu. La menace devient trop pressante pour le groupe de Binza, qui décide d’agir rapidement.

Enfin, l’élection de John F. Kennedy aux États-Unis en novembre 1960 change la donne diplomatique. Lumumba bénéficie du soutien de Thomas Kanza, qui parvient à obtenir un engagement de Kennedy pour sa libération. Cependant, la CIA, en informant Kinshasa, pousse à hâter l'exécution de Lumumba avant l'investiture du nouveau président américain.

Ainsi, le 17 janvier 1961, trois jours avant que Kennedy prête serment à Washington, Patrice-Emery Lumumba est exécuté de sang-froid à Lubumbashi, scellant le destin tragique d'un leader charismatique et intransigeant qui rêvait d'un Congo uni et indépendant.